A Hanoi, nous habitons un appartement qui a notamment la particularité d’avoir deux WC dans deux moitiés de salle de bain, une machine à laver le linge mais pas de lave-vaisselle.
Ou dit autrement, la salle de bain est séparée en deux moitiés par une vitre translucide avec d’un côté la douche et un trône, et de l’autre un second trône et un lavabo.
Explication proposée par une voisine vietnamienne francophone : il y a deux chambres dans l’appartement, il faut donc deux toilettes. Logique. Quant aux machines : le lave-linge est dans la cuisine, et il n’y a pas besoin de lave-vaisselle puisque la femme de ménage fait la vaisselle. Re-logique
Faut-il préciser qu'en bons français pudiques, les deux WC ne servent jamais en même temps, et qu'en bons gourmands, nous cuisinons beaucoup et la femme de ménage trouve que nous avons beaucoup de vaisselle !
Vous devinez la suite…
Il y a quelques temps, au lendemain du Tet (nouvel an lunaire – au mois de février), j’exposais à ma voisine mes envie d’amélioration de l’appartement : enlever une cuvette, remplacer la cuvette supprimée par la machine à laver le linge et installer une machine à laver la vaisselle à la place la machine à laver le linge.
Ma voisine est serviable. Elle me suggéra aussitôt que je lui fasse une liste des améliorations que je souhaitais, liste qu’elle traduirait en vietnamien pour la transmettre à la femme de ménage, laquelle la remettrait à la dame à qui nous payons l’électricité qui en aviserait le manager de l’immeuble, lequel en discuterait avec le propriétaire.
On ne plaisante pas avec la hiérarchie au Vietnam !
La liste fut rédigée, traduite et transmise et je n’en entendis plus parler pendant 15 jours.
Jusqu’à ce matin, où sortant de chez moi, le gardien m’intima dans son inimitable langage des signes de remonter chez moi. Non, Monsieur Van n’est ni sourd ni muet, mais comme il ne parle ni français ni anglais et que mon vietnamien est plus que rudimentaire, nous conversons par gestes, et jusqu’à présent nous nous sommes toujours très bien compris (ou à peu près).
Nous remontons donc chez moi, nous nous déchaussons, Monsieur Van se dirige vers la salle de bain et il entreprend de m’expliquer par signes quelque chose au sujet de la vitre translucide de la salle de bain, la machine et le lave-linge. Mais rien sur le lave-vaisselle. (Si, si, on peut faire la différence entre les deux en langue des signes)
Me pose-t-il une question sur les travaux ou me dit-il qu’il est venu faire les travaux ? Et dans le second cas, qui paye ? Dans le doute, j’appelle ma voisine, qui, bien qu' occupée, prend gentiment le temps de passer à la maison pour m’aider à y voir plus clair.
Huong sort de l’ascenseur, se déchausse, entre, puis questionne Van en vietnamien. Huong m’explique le plus normalement du monde :
« Les ouvriers arrivent pour faire les travaux .
- Ah. Bien. Mais euh, le propriétaire a donc accepté de faire les travaux ?
- Oui.
- Mais qui va payer ?
- Lui
- Merveilleux, mais est qu’il va aussi mettre une machine à laver la vaisselle ?
- Ah, tu veux une machine à laver la vaisselle ? Alors il faut écrire un papier que je vais traduire pour le donner à Binh (la femme de ménage) qui le donnera à Dung (la femme à qui je payer l’électricité).
- Mais le propriétaire va aussi payer la machine ?
- Ah je ne sais pas, il faut voir avec le propriétaire.
- D’accord, et les ouvriers viennent quand ?
- Maintenant.
- Et quand font-il les travaux ?
- Aujourd’hui si c’est possible.
- Et ça va durer combien de temps ?
- Je ne sais pas, il faut leur demander.
- Et comment vont-il brancher la machine à laver le linge sur l’électricité ?
- Je ne sais pas, il faut leur demander.
- Tu restes pour leur poser la question ?
- Ah non, je dois y aller mais je reviendrai dans 45 min.
Sur ce, arrive un jeune vietnamien, en blouson de travail et pieds nus (il s’est déchaussé avant d’entrer, le palier doit commencer à ressembler à un magasin de chaussures).
Huong nous laisse et Van explique à l’inconnu les projets de travaux.
Il lui explique qu’il faut également boucher le trou d’air de la salle de bain pour éviter que les fumées de cigarettes du voisin du dessous remontent dans notre salle de bain. C’est mauvais pour le bébé que j’attends. - Au Vietnam, les femmes enceintes et les enfants sont sacrés. On ne plaisante pas avec le taux de natalité !
J’essaye de joindre mon mari pour le prévenir qu’il risque de retrouver l’appartement en chantier quand il rentera, tout en espérant que rien ne commence avant le retour de Huong.
Mais le vietnamien, (ouvrier ? chef de chantier ? voisin bricoleur ?) prend un air soucieux. Il examine attentivement l’extracteur d’humidité (qui ne fonctionne pas, sa réparation était sur la liste), le fait tourner d’un index orné d’un ongle de 5 centimètres.
Les vietnamiens portent souvent un ongle long pour signifier qu’ils ne sont pas des travailleurs manuels. Ce jeune homme est-il architecte ? chef de chantier ? electricien ? Saura-t-il faire les raccordements sans que nous nous électrocutions la prochaine fois que nous ferons tourner une machine ou prendrons notre douche ?
L’inconnu se tourne donc vers Van pour dire quelque chose avec un air… impassiblement vietnamien, et Van me traduit avec force mimique que quelque chose manque J’entends « Khong » et « Tinh ». Il manque l’électricité. Oui, c’est gênant pour brancher une machine. Van confirme « No….. no… No …. Electricity ».
Bref, pas de machine à laver le linge dans la salle de bain, donc pas de lave-vaisselle dans la cuisine. C’est Mme Binh qui va être déçue. Adieu veaux, vaches, cochons, couvées…
Mais Van est plein de ressources (et s’entend très bien avec Binh, qu’il ne voudrait pas décevoir). Il me montre que nous pourrions mettre une machine à lave la vaisselle à côté de la machine à laver le linge (comme quoi on peut bien distinguer les deux en langue des signes).
Certes mais qui va payer ? Quand seront fait les travaux ?
Mystère
EDIT : finalement, le trou d’air a bien été bouché, en revanche, le propriétaire ayant changé, il faut tout recommencer…